C'était la quatrième mission de reconnaissance que Sigyn allait mener pour l'Alliance. La déesse était un atout à cette organisation pour plusieurs raison. En plus d'être une parfaite inconnue pour l'Etat, elle était pourvue d'une gentillesse et d'une douceur qui facilitait le contact. C'est ainsi qu'elle avait pu nouer avec plusieurs personnes stratégiques du gouvernement, mais aussi de la Résistance. De manière générale, elle gardait pour elle-même ses rencontres ou les données qu'elle collectait, songeant que seules des informations essentielles méritaient de parvenir aux oreilles de l'Alliance.

Il était encore tôt mais les les gens affluaient déjà, se pressant pour se rendre à leur lieu de travail. Marchant rapidement, Sigyn bifurqua sur une autre ruelle, suivant le Lynx de loin. Comme la ligne téléphonique de celui-ci avait été piraté par le réseau criminel, on avait pu apprendre qu'il devait se rendre à une réunion regroupant quelques-uns de ses collègues en plus de membres du Shield. Un tel regroupement annonçait une future offensive bien qu'on ignorât envers qui elle était destinée. Le lieu de la réunion était encore inconnu : une voiture devait passer chercher le mutant sur la cinquième avenue, près de Bryant park. Plutôt que s'y rendre directement, Sigyn avait décidé de suivre le Lynx au moment où il sortait de chez lui. Le mutant descendit alors les marches pour s'enfoncer dans les sous-terrains et elle le suivit avec une légère moue : elle n'aimait pas prendre le métro. La déesse se paya rapidement un ticket et se rendit sur le quai. Le lynx adressa quelques mots à un autre homme brun, avant qu'ils ne se séparent pour s'ignorer royalement. L'échange n'avait pas échappé à l'oeil vif de Sigyn. L'autre homme se rendait peut-être également au même lieu que le mutant, mais la blonde ne le connaissait pas. Bien sûr, il n'était jamais trop tard pour bien faire. Repérant la position du Lynx dans le train, elle préféra choisir le même wagon que l'inconnu et s'installa en face de lui.

Il avait pris le daily news posé sur son siège pour le lire, sans même lui adresser un regard. Sigyn ne dit rien dans un premier temps. Croisant les jambes, elle l'observa discrètement pour mieux prendre connaissance de son visage. Impossible de lui donner un âge, la déesse n'était pas encore très familière avec la longévité humaine. Elle pouvait néanmoins dire qu'il était légèrement plus vieux que Johnny. Elle baissa le regard et nota alors qu'il lisait avec attention la rubrique sport.

« Payer des personnes pour jouer. Un peu étrange, non ? » remarqua alors Sigyn avec un sourire.

La déesse en connaissait un rayon depuis qu'elle avait lu l'intégralité des journaux fournis par Johnny. Elle avait également remarqué que les américains entretenaient une véritable culture du mérite et de l'argent, il était donc tout à fait normal de parler de son travail et de son salaire. C'était utile à savoir, surtout pour engager une conversation fructueuse. L'homme leva les yeux de son journal et, automatiquement, répondit à son sourire.

« Pas tant que ça. Le sport est un divertissement nécessaire à la population. Surtout ces temps-ci. »

«Elle n'a qu'à le pratiquer. La plupart des joueurs professionnels sont mieux payés que des médecins. Et je ne pense pas me tromper en disant que la médecine est plus utile que le baseball. »

« Vous êtes médecin, c'est ça ? » ricana l'homme, même s'il ne semblait pas spécialement en désaccord avec elle.

« Je l'ai été. Et vous ? »

C'est ainsi qu'elle apprit que l'inconnu travaillait bel et bien pour le gouvernement, même s'il était resté vague sur sa fonction. Il voulut ensuite l'inviter à prendre un verre sur une terrasse de la cinquième avenue, après son travail, et elle accepta poliment. Après qu'ils se soient donné un point de rendez-vous, elle le laissa descendre en premier à Bryant Park, puis sortit à son tour en tournant directement la tête vers l'endroit où le Lynx était censé se trouver et le repéra aussitôt. Il n'y avait pas grand monde descendu à cet arrêt et le mieux était donc de laisser les deux hommes prendre pas mal d'avance. Elle marcha lentement, gravissant les escaliers en trainant un peu les pieds.

En sortant, elle s'attendait à trouver le mutant à bonne distance de la bouche de métro mais ce ne fut pas le cas car un individu aux ailes blanches lui avait barré la route. Sigyn se figea de stupéfaction en reconnaissant son ancien collègue. Ses services avaient déjà été réclamés sur terre et elle était venue en tant que représentante d'Asgard pour apporter son aide, une dizaine d'années auparavant. Cela n'avait été qu'une affaire de quelques jours avant qu'elle ne rentre chez elle sans demander son reste, mais elle se souvenait parfaitement de Warren, avec qui elle avait oeuvré.

Comme les questions de celui-ci étaient restées sans réponse, il engagea un combat contre l'homme aux griffes et la blonde resta en retrait, inquiète. Elle était prête à créer un bouclier pour le protéger mais il ne semblait pas en avoir besoin. Et le brun à qui elle avait parlé, dans tout ça ? Elle regarda un peu autour pour se rendre compte qu'il avait disparu, au même titre que les autres personnes étant sorties du métro. Alors qu'Angel s'apprêtait à porter le coup de grâce sur son ennemi, Sigyn généra un bouclier pour protéger le Lynx.

« Warren ! », s'exclama t-elle alors que le poing de l'ange heurtait son champs magnétique.

Elle se précipita à sa rencontre et créa une illusion sur sa propre personne de sorte à ce que seul Angel puisse être témoin de sa véritable apparence. Le Lynx, lui, ne pouvait pas voir son vrai visage, mais celui d'une autre femme qui était dans le même train qu'eux.

« Quand on veut des réponses, on s'assure que notre interlocuteur soit encore en mesure de les fournir », dit-elle sur un ton de reproche.

Le mutant semblait effectivement si amoché qu'il devait désormais lui être difficile d'aligner des phrases cohérentes. La violence dont Warren avait fait preuve laissait croire qu'il avait cherché à le tuer, et Sigyn espérait se tromper là-dessus. Et puis, qu'est-ce qu'il lui prenait d'aller casser la figure à un ennemi en plein Bryant park? Maintenant le bouclier, elle s'avança vers les deux adversaires.

« Il n'était pas seul. L'autre a dû fuir. », déplora t-elle en levant les yeux pour balayer à nouveau les lieux du regard.

« Pourquoi... ? » demanda t-il avant de se redresser, les yeux rivés sur son ennemi.

« Je n'allais pas rester les bras croisés ! »

Son irritation n'enlevait rien au fait qu'elle était contente de voir qu'il allait bien. Et comme elle s'y était attendu, Angel était furieux qu'elle ose s'interposer. Mais n'avait-elle pas eu raison ? L'homme était incapable de se relever, l'affrontement était terminé. La mission de Sigyn était fichue en l'air, mais elle s'en moquait désormais éperdument. L'autre individu qui avait pris la fuite allait sans doute prévenir d'autres de ses camarades. Le terrain s'annonçait dangereux, et elle était plus inquiète pour Angel que pour elle-même.

« Je suppose que c'est toi qui est venue pour des réponses, Sigyn. Pas moi », admit-il.

« Je vois... » dit-elle, la gorge serrée.

Le regard de Sigyn se voilà de tristesse. Elle savait que Warren se laissait parfois emporter par ses émotions, mais jamais elle ne pensait qu'il irait jusque là. Quand bien même était-ce un ordre donné par ses supérieurs, il n'avait pas l'air de rechigner à la tâche ! Si elle n'était pas intervenue, l'aurait-il massacré jusqu'à ce que mort s'ensuive ? Le simple fait d'y penser lui donnait presque la nausée. Elle se recomposa un visage neutre et reprit d'une voix plus assurée:

« Peu importe ce qu'il est ou ce qu'il fait, on ne frappe pas un homme à terre. Laisse-le. »

C'était un principe, un code d'honneur. Mais en temps de guerre civile, qui pouvait encore le partager ? Il y avait Johnny. Elle se souvenait encore de la fois où des agents les avaient attaqué, elle et lui. La torche humaine avait le pouvoir de les éliminer d'un simple geste du bras par ses flammes destructrices et il n'avait rien fait de cela, se contentant de les repousser pour prendre la fuite. Était-il donc le seul à avoir du respect pour les vies humaines ? Sigyn pensait au départ que la Résistance en avait aussi. Entre sa rencontre avec Johnny et toutes les missions envers le gouvernement qu'on lui attribuait, la blonde avait été portée à croire que le problème venait des politiciens, mais force était de constater que c'était bien trop facile de rejeter la faute sur eux. Elle avait parfois l'impression de mener seule un combat moral contre tout le monde. Son indulgence exaspérait parfois même son propre mari, malgré tous ses efforts pour satisfaire sa volonté.

Elle garda la tête haute, espérant que Warren accepterait de laisser le mutant en paix. Que pouvait-elle faire désormais ? La réunion se tiendrait sans le Lynx, peut-être serait-elle même annulée. Quant à l'autre homme, il était sans doute déjà en train d'alerter ses collègues qui lanceraient une contre-attaque sur la Résistance pour leur rendre la monnaie de leur pièce.

Warren resta un instant immobile. Il serra et desserra les poings tout en reprenant une respiration mesurée et la déesse se détendit un peu en voyant la rage quitter ses traits pour laisser place à de la rancune, ce qui était plus acceptable pour elle.

« Que viens-tu chercher ? »

Sa froideur blessa Sigyn bien qu'elle ne le montra pas. Elle n'était d'ailleurs même pas certaine de lui en vouloir. Le point réconfortant était qu'elle était plus informée sur lui que l'inverse. Toutefois, elle ne sut que répondre car elle n'était pas sûre de la question. Que venait-elle chercher sur Midgard, ou ici, à Bryant park ?

« Cela n'a plus d'importance désormais », soupira t-elle.

Angel se rapprocha d'elle, penaud.

« Désolé. Je ne voulais pas que tu me voies ainsi. »

Il semblait éprouver du regret, plus pour cette image qu'il avait montré de lui que son acte abject.

« C'est donc ainsi que vous procédez, à la Résistance? Vous éliminez ceux qui ne veulent pas vous entendre ? Si c'est le cas, vous ne valez pas mieux que ceux contre qui vous vous battez. » elle pinça les lèvres avant d'ironiser : « C'est moi qui suis désolée. »

Et presque aussitôt, elle regretta à son tour. Ses paroles étaient sincères mais elle aurait dû s'exprimer autrement. Cette dureté ne lui ressemblait pas. Elle se montrait juste blessante, et c'était inutile. Son regard se fit plus doux et elle posa la main sur son avant-bras en un geste qui se voulait apaisant.

« Je n'aurais pas dû dire ça », dit-elle avant de se mordiller la lèvre, embarrassée.

Elle ne tenait pas à attiser sa colère, sa priorité était d'abord de s'assurer qu'il pourrait s'en aller en toute sécurité. Malgré ses erreurs, Warren demeurait une personne qu'elle appréciait. C'était un homme qui voulait bien faire, mais il ne savait pas comment s'y prendre. Pas plus que ceux qui l'employaient, apparemment.

« On risque d'avoir de la compagnie d'ici peu, il ne faut pas rester là. Partons », tenta t-elle de le convaincre en faisant une légère pression sur son bras.

Elle n’était déjà pas fière de s’adresser à lui de cette façon et la réaction de Warren la fit davantage culpabiliser.

« Non tu as raison. J’ai commis une erreur. »

C’est comme si la soudaine gentillesse du mutant la renvoyait à sa propre mesquinerie, et Sigyn en fut davantage mal à l’aise. Elle choisit de se concentrer sur le danger immédiat qu'ils encouraient pour mieux échapper à ce sentiment de gêne. Il y avait un bon moyen de fuir l’endroit rapidement, et elle fut soulagée que l’ange lui propose ce qu’elle n’avait pas osé formuler à voix haute.

« Excuse-moi, tu permets ?  »

« Bien sûr  », répondit-elle avec reconnaissance, essayant de ne pas trop afficher sa joie à l’idée de prendre son envol. Il ne manquait plus qu’elle ait l’air d’une enfant qui n’a jamais voler de sa vie !

Pleine de réserve au départ, elle enroula un bras autour de ses épaules pour se soutenir et l’ange passa une main dans son dos. Elle eut un discret hoquet de surprise au décollage, ayant cette impression à la fois étrange et familière d’avoir laissé son estomac en bas tandis que le corps était propulsé vers le haut. En un battement d’ailes à peine, Warren lui faisait redécouvrir les sensations du vol qu’elle aimait tant. Elle baissa un regard brillant d’enthousiasme vers le sol s’éloignant de leur pied tout en passant sa main libre sur son propre front pour empêcher ses cheveux battant dans le vent d’entraver sa vue. Elle en oubliait presque les raisons qui les avaient poussé à choisir la voie des airs !

« Je te laisse le choix de la destination. Je te dois bien ça... non ?  »

Le sourire déjà aux lèvres, celui-ci s'attendrit automatiquement lorsqu’elle redressa la tête pour regarder l’ange.

« Tu ne me dois rien Warren », assura t-elle avec douceur, « Mais puisque tu en parles, connais-tu un endroit où l’on pourra discuter tranquillement ? … si tu as du temps à m’accorder, bien sûr.  »

Ils auraient bien des choses à se dire, au vu de tout ce qui avait apparemment changé de leur côté. Mais Warren en avait-il vraiment envie ? Il n’avait pas eu l’air spécialement enchanté de la revoir, mais elle espérait intérieurement que cela était dû aux circonstances de leur rencontre.

« On ne s'est pas vu depuis si longtemps après tout », argua t-elle alors aussitôt, comme pour le dissuader de lui refuser cette faveur.

Ce n’était pas tout à fait la vérité. D’un point de vue céleste, le laps de temps qui s’était écoulé depuis la dernière fois qu’il s’était vu était absolument négligeable. Mais la temporalité humaine différait grandement de la sienne, non ? D’aussi près, elle voyait bien dans ses yeux qu’il n’était pas si différent de celui qu’elle avait connu. Le regard de la déesse scruta ainsi celui de l’ange, tentant de fouiller ses pensées. Comment la considérait-elle ? Était-elle son amie ou une simple collègue avec qui il ne travaillait désormais plus ? La résistance devait avoir pris une place bien importante dans sa vie pour qu’il se voit réduit à commettre des actes aussi vils. La blonde tourna alors la tête, les yeux mi-clos, appréciant le vent caressant son visage et cette douce sensation intérieure d’avoir le cœur en suspension. Si Warren ne tenait pas vraiment à lui tenir compagnie, au moins il lui faisait part d’un beau cadeau.

« Oui, j’en connais un. »

Sigyn se garda d’exprimer son contentement à cette réponse. Il y avait une certaine réserve dans le comportement de Warren. Qu’espérait-elle, après tout ? Suite à une longue absence, voilà qu’elle revenait accomplir une mission qui se heurtait à la sienne ! Il n’allait donc évidemment pas manifester une quelconque joie en la revoyant. Le reste du vol se fit en silence. Ils laissèrent les hauts buildings derrière eux, et Sigyn sourit d’amusement en constatant qu’il avait vraiment pris ses paroles bien au sérieux quand elle réclamé un endroit tranquille. Pour sûr, il ne risquait pas d’être dérangés ! Ils survolèrent des lieux que Sigyn n’avait jamais eu l’occasion de voir jusqu’alors et elle fut agréablement surprise de les découvrir.  

Ils se posèrent dans un paysage boisé qui lui plut aussitôt. L’environnement était calme, apaisant, propice à une discussion sereine qui n’était pourtant pas prête d’arriver. Sitôt que la déesse mit un pied à terre, elle relâcha Warren.

« Nous y voilà. »

Elle le gratifia d’un sourire, l’analysant une dernière fois du regard avant de lui tourner le dos pour s’avancer vers le point d’eau. Elle avait tenté de le cerner, mais l’expression de l’ange était indéchiffrable.

« J’aime beaucoup… » commenta t-elle avec ravissement.

« Alors dis-moi… »

Le sourire de Sigyn se figea, ayant l’impression que la conversation amicale qu’elle avait recherché allait avoir des allures de règlement de compte. S’arrêtant de marcher, elle se tourna vers lui pour lui adresser un regard interrogateur.

« Que viens-tu faire ici, sur Terre ? Je doute que ce soit en simple touriste... je me trompe ? »

Ses propos résonnaient comme des reproches. Il ne lui demandait ni comment elle se portait, ni des nouvelles d’Asgard. La déesse l’avait connu plus amical ! Il l’avait mené ici pour un interrogatoire, donc. Sigyn avait l’impression qu’un fossé les séparait, elle se sentait presque aussi négligée que cet homme qu’il avait massacré de sang froid.

« Et si je refuse de répondre, lèveras-tu la main sur moi aussi ? », riposta Sigyn, « J’ai rarement vu quelqu’un aussi content de me voir. », ajouta t-elle avec un sourire ironique.

Toutefois, la question de Warren soulevait un point auquel Sigyn n’avait pas songé. La Résistance ne savait donc pas que Loki était sur Midgard ? Devait-elle rester dans l'ignorance ? Si c’était le cas, la présence de Sigyn avait de quoi éveiller la méfiance. Toutefois, l’esprit vif de la jolie déesse trouvait toujours réponse à tout. Elle avait effectivement toutes les cartes en main pour créer le mensonge parfait : son demi-frère Thor, l’inquiétude éprouvée autour de lui et les rumeurs courant sur soi-disant mort - que Sigyn refusait catégoriquement de croire. La blonde pouvait prétendre être à sa recherche. Elle avait de quoi être convaincante, elle était en possession des bons arguments. Il lui manquait seulement le courage… Sigyn ne savait pas mentir. Encore moins aux personnes pour qui elle avait de l’estime. Pourtant, elle avait l’impression de ne pas avoir le choix.

Elle ne pouvait pas non plus éviter le sujet éternellement. Et si la déesse répondait à ses questions, cela inciterait Warren à en faire de même à l'avenir… en espérant qu’il ne se montre pas aussi malhonnête qu’elle ! Tournant la tête sur le côté pour faire mine d’observer la végétation environnante, elle fit alors une tentative :

« Mais tu as raison. À dire vrai… »

Sa voix manqua de justesse de déraper à ces dernières paroles, mais elle se reprit bien vite :

« Je m’inquiétais pour Thor, il a disparu sans laisser de trace. Mais il y a de grandes chances pour qu’il soit ici... C’est ce que je crois. »

Elle dut attendre de finir sa tirade pour enfin oser ramener ses yeux sur Angel, l’air de rien. Elle affronta son regard quelques secondes avant de se détourner, prétextant l’envie de s’asseoir. Les lèvres pincées d’amertume, elle prit place sur un rocher en s’efforçant d’avoir l’air parfaitement détendue, mais son regard désabusé l’a trahissait.

« Et toi. Puis-je connaître les raisons qui t’ont motivé à te salir les mains au nom de la Résistance ? Je ne te savais pas défenseur des libertés individuelles. »

« J'appelle ça prendre de tes nouvelles, Sigyn. Mais tant pis. Je comprendrais tout à fait que tu ne veuilles plus répondre à mes questions, après tout, je ne suis qu'une brute sans cervelle, prêt à tuer pour ses idéaux, n'est-ce pas ? »

Sigyn ne trouva même pas la volonté de le contredire malgré la fausseté de ses paroles. Oui, elle lui en voulait pour ce qu’il lui avait montré, mais elle n’irait jamais jusqu’à le considérer comme tel. On disait que l’erreur était humaine, mais en réalité, elle appartenait à tout le monde, même aux dieux. Warren prenait seulement de ses nouvelles, donc ? Quand bien même elle avait deviné les bonnes intentions de l’ange, elle n’aurait pas pu s’empêcher de se montrer cinglante. Il lui arrivait facilement de lancer ce genre de réplique quand elle était insatisfaite. Sigyn était habituée à comprendre et anticiper facilement les actes des autres. Souvent, un simple regard suffisait pour cela. Avec Warren, c’était différent. Elle n’arrivait jamais à savoir ce qu’il avait en tête. Elle avait beau le regarder, elle ne voyait que cette part d’ombre et de tristesse. Il restait le même homme, et pourtant quelque chose en lui avait changé. L’ignorance de Sigyn ne faisait qu’accroitre son inquiétude et sa frustration.

Et quand il répondit à son mensonge par des paroles bienveillantes, elle ressentit comme un poids lourd s’abattre sur son cœur.

« Si j’apprends quoi que ce soit sur Thor, je t’en ferai part. Même si je n’ai aucun moyen de te joindre... »

« Ne t’inquiète pas pour cela. On se reverra », assura t-elle, gênée devant sa gentillesse.

Elle ne méritait vraiment pas tant de prévenance ! Installée sur son rocher, le dos droit, le regard au loin, elle n’osait même plus bouger. Sigyn aurait presque aimé qu’il se montre mesquin avec elle, non seulement elle le méritait mais en plus, elle n’aurait pas à culpabiliser autant. Vint le moment où ce fut à Warren donner des réponses…

« Moi …  J'ai cru bon d'obéir aux ordres. J'ai fauté. J'ai toujours défendu les causes qui étaient les plus honorables, Xavier en faisait également partie. »

Même si le bien fondé de la cause défendue par les résistant était un sujet grandement discutable, Sigyn n’eut même pas le cœur à y redire. Les yeux légèrement écarquillés, elle avait clairement perçu la douleur dans sa voix. Pour la première fois, elle avait l’impression que la glace était en train se briser. La peine qu’elle avait auparavant perçu dans son regard ne lui apparaissait que plus évidente, et son cœur s’emballa tandis qu’elle prenait peur. Qu’avait-elle raté ? Qu’avait-il sur la conscience et qu’elle ignorait? Elle tourna un peu la tête sur le côté, les traits inquiets. Elle avait envie de se retourner mais manquait bien trop de courage pour affronter de nouveau le regard de son ami.

« Regarde-moi. »

En sentant la main sur son épaule, Sigyn se résigna à tourner davantage la tête pour rencontrer ses yeux, mais elle tomba sur les fentes écarlate d’un homme à la couleur de l’acier. Hoquetant de surprise, elle se redressa d’un bond en se dérobant à son toucher d'un mouvement habile. La respiration légèrement haletante, elle l’analysa d’un regard stupéfait. C’est là qu’elle comprit. Il avait prit la forme de cette ombre qu’elle n’avait qu’entraperçue dans son regard. Voilà donc le mal qui le rongeait ! La blonde commençait déjà à s’en vouloir d’avoir réagi ainsi en le découvrant. Craignant qu’il interprète sa surprise pour du dégout, elle rattrapa aussitôt l’avant-bras de Warren en se rapprochant d’un pas.

« Je suis désolée ! Pardonne-moi je t’en prie », dit-elle piteusement, « je me suis montrée odieuse avec toi. Si seulement j’avais su… »

Sigyn était si affligée que retenir ses larmes relevait d'un effort divin. Elle observa ses ailes métalliques avant de ramener son regard au sien.

« Mais que t’est-il arrivé ? » souffla t-elle.

Warren gardait les yeux baissés et Sigyn n’aurait su dire si c’était de honte ou de dépit. Qu’elle l’ait déçu ou non importait peu pour la déesse, c’était le fait de l’avoir blessé qui l’embarrassait. Warren reprit progressivement sa forme humaine sous le regard bienveillant de Sigyn. L’autre apparence ne la dérangeait pas non plus. Pensait-il l’avoir rebuté ? Après tout ce que la déesse avait traversé, il en fallait bien plus pour en arriver là. Elle savait d’ores et déjà que tout ce que Warren pouvait lui révéler ne transformerait pas la vision qu’elle avait de lui. Son optimisme la poussait toujours à voir le meilleur en chacun et elle ne doutait pas de la bonté de l’ange. Avili ou non par une présence importune, il gardait cette part de lumière inébranlable que Sigyn avait toujours reconnu en lui.

« Il s'appelle Apocalypse, tu as déjà entendu parler de lui j'imagine..., Avant de quitter cette dimension, il m'a fait prisonnier. J'ai subi nombreuses de ses expériences...et me voici. »

À l’entente du nom, le regard de la déesse s’était instantanément assombri. Cette volonté d’apporter chaos et désolation autour de soi était une chose qu'elle ne comprendrait jamais de près ou de loin. La nature laissait parfois apparaître des abominations sans qu’on puisse se l’expliquer. Warren retira son bras, se dérobant à son toucher et Sigyn ramena sa main contre elle-même, contrite.

« J'ai failli tuer mes proches. J'étais son bras armé...je n'ai pas pu lutter. Et encore maintenant il parvient à me voler à ma conscience.»

« Tu n’as rien à te reprocher, tu n’es pas responsable de ce qu’il t’arrive. Et puis, je trouve que tu ne t’en tires pas si mal, en fin de compte », le défendit-elle avec un pauvre sourire, « Quand je pense à tout ce que je t’ai dit … », ajouta t-elle dans un soupir dépité.

C’était comme si Apocalypse avait tenté d’injecter la haine dans ses veines et d’ancrer le mal en lui. Pendant un moment, il avait été proche du but mais la vraie nature de Warren avait repris le dessus. Angel avait peut-être tenté de tuer ses proches, mais l’essentiel était qu’il n’y était pas parvenu. Et même si cela avait été le cas, la compassion de Sigyn n’en aurait été que plus grande.

« Tu n'as pas à t'excuser. Tu ne pouvais pas savoir.  Je ne suis pas là pour te blâmer. D'ailleurs, tu dois tout savoir de moi désormais. Ou presque. Il doit bien rester quelque chose...mais j'ai bien peur que je ne doive l'emporter avec moi jusqu'à mon dernier souffle. »

Si la déesse avait été heureuse qu’Angel dise enfin tout ce qu’il avait sur le cœur, son sourire se crispa néanmoins légèrement à ses derniers mots. Après avoir entendu la terrible vérité sur ce qu’il avait subi, la jolie blonde se demandait vraiment ce qu’il pouvait y avoir de pire pour qu’il n’ose même pas l’évoquer. Son cœur s’était emballé et elle dut faire un effort colossal pour ne pas imaginer les pires scénarios. Bon, l'expression de Warren n'indiquait pas que ce lourd secret était bien plus terrible que le reste, au contraire. Il devait quand même avoir une bonne raison pour préférer garder le silence, mais pourquoi attiser ainsi la curiosité de Sigyn ? Il aurait tout aussi bien pu ne rien dire sur le sujet… C'était probablement un moyen de la prévenir, au cas elle le découvrirait d’elle-même par la suite : au moins, elle ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir été prévenue !

« Je respecte ton silence. Sache que quoi qu’il advienne, rien ne changera, j’aurai toujours une grande estime pour toi.  »

Elle essayait de détecter un indice dans ses yeux mais elle ne voyait que le miroir de sa propre affection pour lui… avec peut-être quelque chose en plus qu’elle jugea préférable d’ignorer. Croisant les bras, mal à l’aise, elle fit un pas en arrière tandis que son regard bifurqua sur l’une des ailes métalliques d’Angel.

« J’aimerais tellement t’aider… crois-tu que c’est possible, qu’il existe une sorte de remède ? »

Apocalypse avait certainement dû faire le nécessaire pour qu’une telle chose soit impossible, mais il restait sans doute un espoir. Ou peut-être était-ce à Warren de vaincre lui-même ce mal ? Après tout, il avait bien réussi à le repousser au point de reprendre la maîtrise de ses actes. Rien n’était perdu.